De nombreux articles et de réactions sur les réseaux sociaux évoquent déjà le nouveau film publicitaire de Disneyland Paris conçu par son agence BETC et mettant en scène un caneton passionné par le personnage Donald Duck qui finit par le rencontrer à Disneyland Paris après une migration tumultueuse.
Pure Break insiste sur l’émotion provoquée par la vidéo chez les fans. Oh My Mag fait le récit du film publicitaire en mettant en avant l’atteinte de l’objectif commercial à travers également des réactions émues. En guise de dernier exemple, Radio Disney Club analyse les idées de la publicité qui se rapproche de l’esprit des studios Disney plutôt que de la promotion traditionnelle des saisons.
J’aimerais développer cet aspect esquissé dans l’article de Radio Disney Club, en établissant des liens de contenus et de structures avec des films Disney. Le complexe touristique retrouve ses origines narratives en sortant soudainement du modèle publicitaire touristique.
Comparaison de la publicité du caneton avec les productions des studios Disney
Ressort n°1 : l’acte de cruauté infligé à l’être innocent et faible
Le film publicitaire appuie sur la corde de la cruauté et de l’angoisse qui résonne encore en nombre de spectateurs se souvenant de la mort de la mère de Bambi, l’étreinte de Dumbo dans la trompe de sa mère à travers les barreaux, la montée lente d’Aurore dans les escaliers menant au fuseau fatal. La tristesse du caneton devant renoncer au signe matériel le raccrochant à sa passion (le magazine promouvant Donald en couverture) évoque d’autres scènes similaires dans le répertoire Disney où des êtres fragiles ou frappés d’injustice se voient confisquer les maigres preuves matérielles de leur rêve : – la destruction de la collection d’objets humains d’Ariel par son père pris d’une colère noire, – la robe de Cendrillon confectionnée avec amour par ses amis les souris détruite violemment par ses demi-sœurs, – le dernier pétale de la rose de la Bête tombant apparemment une seconde trop tôt, – le restaurant de Tiana confisqué malgré des années de labeur passées à économiser, – la forêt de Winnie obscurcie dans Christopher Robin et la tristesse calme de l’ourson après la colère de son amie, etc. La destruction d’une coquille, d’un petit coin, d’un petit objet inutile mais indispensable suscite une pitié spontanée envers l’être qui se contentait de peu et qui, en plus, avait bâti ce peu de chose de ses mains ou qui en dépendait.
Les classiques Disney utilisent régulièrement la destruction d’un cocon comme scène à sensations.
Ressort n°2 : l’ascenseur émotionnel
Le deuxième ressort utilisé par le film du caneton est le « choc » de la fin heureuse qui survient au moment où tout semble irréparable. Les fins musicales en apothéose des classiques Disney reposent sur ce principe : l’orchestre symphonique, les chœurs, les belles robes et les bals surviennent après un pic de tension : la fin heureuse relâche d’autant plus les poches lacrymales que tout était perdu. C’est la métaphore de l’élastique : plus on tire fort sur un élastique, plus le retour est violent quand on le relâche. Les scènes d’apothéose, aussi improbables soient-elles, notamment dans le tout récent Retour de Mary Poppins, produisent des images accumulant le maximum d’effets compensatoires. C’est là que les studios Disney peuvent être qualifiés d’artisans de l’émotion.
La fin du film se rapproche des fins en apothéose des dessins animés Disney où la tendresse triomphe de la peur.
Ressort n°3 : la vie des êtres invisibles
Les studios Disney sont connus pour faire naître l’émotion en donnant la vie à des êtres inanimés ou des objets. La publicité « When Magic gets real » de Disneyland Paris ne fait pas autre chose en transposant une réalité humaine dans celle d’un animal.
Dans son livre Mickey Mouse, Icône du rêve américain, Garry Apgar cite Chuck Jones, un commentateur qui analysait au milieu du XXème siècle l’utilisation des animaux dans les dessins animés :
« Dans les dessins animés, nous avons tendance à préférer les animaux aux humains. Déjà, si votre histoire parle d’humains, le film avec acteurs est moins cher, plus rapide à faire et plus crédible. […] Ensuite, comme je le disais, il est plus facile et plus crédible d’humaniser les animaux que d’humaniser les humains. Nous sommes bien trop proches des autres humains. Inconsciemment, nous critiquons les autres selon qu’ils dévient de nos propres normes de comportement ou de celles auxquelles nous adhérons »
L’analyste précise ici qu’utiliser des animaux permet de créer des catégories et non des individus, et de favoriser ainsi l’universalisation de l’émotion, comme dans les fables d’Esope ou de La Fontaine. En retirant l’aspect humain, on se concentre sur ce que le film veut montrer : dans la publicité de Disneyland Paris, un canard jeune, fragile et fasciné dont il ne faut pas briser ce qui le raccroche à l’existence.
Mettre en scène un canard qui rencontre enfin Donald n’est pas seulement une métaphore du visiteur passionné qui finit par rencontrer l’idole qui inspire ses rêves. C’est aussi imaginer un monde où, potentiellement, les canards se promenant à Disneyland seraient des visiteurs comme les autres, dans un monde parallèle. Toy Story, Ratatouille, Les 101 Dalmatiens et Bernard & Bianca sont des exemples du répertoire Disney où le monde animal évolue parallèlement à la société humaine dans des structures ressemblantes. L’effet de ces films sur le quotidien est parfois dérangeant : qui jette encore un jouet à la poubelle sans penser à Woody et Buzz ? La famille de canards a au moins la chance de pénétrer dans le parc sans attendre aux grilles, autre effet magique de l’usage d’animaux.
Avec le motif de la migration et du réveil des canards sur une pelouse couverte de rosée, Disneyland Paris inscrit le récit de When Magic gets real » dans une espèce de cosmos où Disneyland irait de soi, intégré à la nature comme une partie intégrante du monde, avec une arrogance qui fait quand même sourire.
La leçon de la publicité : la passion entre représentation et réalisation
Le problème posé par la publicité et les parcs Disney en général est contenu dans le titre : « When magic gets real ». Disneyland Paris est un lieu de représentation fantasmagorique, mais la magie ne peut pas y être réelle, on le sait : la représentation y passe simplement de deux à trois dimensions. L’illusion qui en découle aidée par le bon vouloir du public est appelée « magie réelle ». La publicité soulève donc des interrogations sur le rapport d’un parc à thème avec la réalité.
Se retirer dans « son monde » pour réinvestir ensuite le « vrai monde »
La première chose qui m’a marqué avec cette publicité est la référence au Vilain Petit Canard, dont Disney avait réalisé une version d’une intensité similaire : la tristesse du caneton mis sur le côté était insoutenable. Même si l’histoire n’a aucun rapport, j’y vois quand même l’aboutissement des espoirs d’un petit être différent, rêveur, lunaire, pensif, pas fait pour ce monde et qui se réalise dans un autre.
C’est là un sujet d’actualité sur le mouvement entre retrait social pour se plonger dans des univers souvent commerciaux et sous licences et retour à la société pour lui faire bénéficier des apprentissages acquis dans ces autres mondes. Il s’agit du théorème compliqué sur lequel marchent les studios « Pop » comme Disney et, encore une fois, le dernier Mary Poppins illustre ce mouvement : les enfants apprennent dans les univers féeriques les leçons à appliquer pour résoudre leurs problèmes dans le « vrai » monde. Dans la publicité de Disneyland Paris, ce mouvement de retrait et retour du « héros élu et bizarre » n’est pas investigué : il est au contraire nié puisque l’arrivée du caneton à Disneyland Paris est montrée comme la rencontre entre rêve et réalité, ce qui est bien étrange. Il aurait fallu une troisième partie pour que cette publicité de Disneyland Paris devienne un film Disney complet, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’une publicité pour un parc d’attractions qui en décrit l’expérience.
Réflexions autour de l’expérience des parcs
La publicité pose en effet la question du sens de l’expérience de Disneyland Paris : à quoi a servi cette passion de Donald pour le canard à part consommer du Disney ? Finalement, dans la publicité, Disneyland Paris est un bon moment mais reste accessoire : c’est avec le magazine et son travail pour imiter les poses de Donald que le caneton a pris du plaisir. La rencontre avec Donald n’est qu’un prolongement et un tremplin pour d’autres inspirations futures. C’est ce message-là que la publicité ne montre pas : la boucle n’est pas bouclée. Ce que retire le caneton de cette rencontre, c’est en tout cas une émotion réelle provoquée par une représentation de Donald en trois dimensions. Victor Hugo défendait déjà ce type d’émotions dans son éloge du théâtre où les décors faux peuvent bouleverser les cœurs vrais des spectateurs.
Concernant toujours la passion, la publicité du caneton fait de la visite à Disneyland Paris l’aboutissement des épreuves, non le début, le pendant et la fin. Le parc n’est appréciable à sa juste valeur qu’à l’issue d’une attente, d’une adhésion, d’une connaissance qui rendrait l’ensemble moins « consumériste ». Cette conception de l’expérience du parc est fréquemment relancée par les fans accumulant une érudition complète et parfois critique sur les parcs, à un tel point qu’ils en déplorent parfois la dénaturation par les choix de développement opérés. De même, le décalage est souvent grand entre les films Disney et l’entreprise qui les produit : Wall-E est une critique de la destruction de la planète mais Walt Disney World n’est pourtant pas en reste en termes de production de déchets et de précarité. Cette publicité du caneton révèle donc un deuxième décalage : celui qui sépare les films des parcs qui en accueillent les représentations. En effet, le discours est toujours plus maîtrisable qu’un séjour d’une journée. C’est le drame du tourisme : les lieux sont dépassés de très loin par la beauté des discours écrits et visuels qui en font la promotion.
Conclusion
La référence à la couverture d’un magazine qui fascine le caneton et où figure Donald souligne l’esprit impérial de symbiose entre l’univers Disney dans ses canons originels et Disneyland Paris qui doit se reforger un fond émotionnel. La publicité ne montre pas d’attractions mais le symbole du château qui permet simplement de rappeler où l’action se situe : le rêve qu’on atteint, c’est davantage l’instant offert de la découverte que le produit vécu du début à la fin, ce qui est assez classique dans le marketing aujourd’hui.
L’intérêt de cette publicité n’est donc pas dans le positionnement marketing traditionnel qui hésite entre produit et expérience mais dans son positionnement par rapport au répertoire Disney, autant dans la forme que dans le contenu. Ces ressources premières rendent ce film émouvant, contrairement aux nombreux spots précédents du parc qui valorisaient le spectaculaire et la nouveauté. Si on reprend la distinction opérée par Gaston Bachelard dans L’Eau et les Rêves (1942), la publicité « When magic gets real » se rapproche de « l’imagination formelle » qui cherche les origines et l’éternité, tandis que les publicités habituelles se classifiaient plutôt dans « l’imagination matérielle » qui puise dans la nouveauté et la surprise.
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