« C’est la fête, c’est la fête ». Dans l’extrait de La Belle et la Bête où Lumière redonne le sourire à Belle, la jeune fille est assise en bout de table pendant que s’agite toute la vaisselle. Se dessine dans cet extrait musical une reproduction de la configuration du spectacle apparue lors de l’ascension bourgeoise du XIXè siècle et à laquelle on s’est habitués dans la programmation de Disneyland Paris : les artistes sous les projecteurs sur la scène, les spectateurs silencieux dans le noir. Un spécialiste de la thématisation, William Van Wert, indique que la métaphore du monde des parcs Disney ne prend son sens idéal que quand le parc est vide. Les visiteurs sont des intrus sur une scène qu’ils investissent mais ne s’approprient pas : ils restent des voyeurs (dans tous les sens du terme !) Le spectacle est une mise à distance, une immersion personnelle dans l’introspection suscitée par l’émotion de ce qui se joue sur scène.
Disneyland Paris opère une révolution copernicienne dans cette conception du spectacle avec le Festival Pirates & Princesses qui animera la saison printanière du 31 mars au 31 mai 2018. Tour d’horizon de ce festival qui mérite son nom !
Jouer sur les symboles et les stéréotypes
Toute histoire a comme origine un conflit, et le Festival Pirates & Princesses n’échappe pas à la règle. Disneyland Paris a construit un récit autour d’une bataille cordiale entre l’équipe des princesses menée par une certaine Betty Rose et l’équipe des pirates conduite pas un dénommé Jimmy Ocean. Ce sont donc deux univers qui se croisent : les contes de fées populaires revisités par Walt Disney et les romans d’aventure de piraterie qui ont connu leur apogée aux XVIIIè et XIXè siècle. Disney joue de tout son répertoire pour s’approprier ces deux univers typiques de la littérature. Betty Rose sera entourée de 10 figures princières dont Cendrillon, Aurore et Blanche-Neige, entre autres, tandis que l’équipe des pirates se composera particulièrement de Jack Sparrow et des personnages de Peter Pan.
Disneyland Paris met face à face deux champs narratifs qui ne se sont jamais opposés dans la réalité : il s’agit donc d’un jeu purement théorique sur les genres, les évocations et l’imaginaire symbolique qui s’approprie avec humour et créativité clichés et stéréotypes de deux types d’aventures qu’on oppose facilement : le monde rose et édulcoré des princesses diffusé par la licence Disney Princesses qui est loin des scènes parfois effrayantes de La Belle au Bois Dormant et de Blanche Neige, et le coin des pirates caractérisé par des combats à l’épée et des catégories sociales populaires. Ces clichés sont déjà mis à mal dans l’affiche et les costumes : Cendrillon prend un air espiègle et belliqueux en se remontant les gants comme si elle s’apprêtait à combattre, Betty Rose porte une perruque et une robe à paniers de la fin du XVIIIè siècle qui rappellent la frivolité qu’on associe communément à la Cour de Versailles, le costume de Jimmy Ocean dans le tutoriel Youtube, très coloré et riche en motifs décoratifs, s’éloigne largement de l’image rustre des pirates de L’Île au trésor.
Se dessine déjà, plus qu’une opposition, une fusion et une perméabilité des codes qu’on retrouvera dans l’organisation du spectacle qui aura lieu quatre fois par jour : Pirates ou Princesses Disney : à la croisée des chemins. Deux chars accompagnés de danses et musiques originale dédiées partiront en même temps de chaque côté de la route traditionnelle de la parade pour se rejoindre sur Central Plaza, dit le Hub, pour fusionner dans un mélange de styles musicaux et d’animations.
Un festival interactif et ambitieux
Voilà ce qu’il en est pour l’esprit et le récit de ce spectacle. Du côté pratique, le parcours de chars sera jalonné d’arrêts temporaires où le public pourra danser avec les professionnels des chorégraphies simples qu’il est possible d’apprendre en avance en s’aidant des deux tutoriels Youtube animés par Betty Rose et Jimmy Ocean. Disneyland Paris introduit donc l’idée d’une fête interactive où le public devient aussi, s’il le souhaite, acteur du spectacle, en utilisant les outils contemporains du buzz viral qui permettent de faire démarrer l’expérience avant le jour de la visite.
Commencez d’ores et déjà à apprendre les chorégraphies des deux teams :
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[embedyt] http://www.youtube.com/watch?v=PK02I6Wi-Qk[/embedyt]
L’ambition se retrouve aussi dans la présence de lieux disséminés dans le parc dédiés à la rencontre de personnages et à de courtes animations. Jack Sparrow recrutera des matelots à Adventureland, les pirates viendront à votre rencontre sur la plage et des défilés princiers auront lieu sur Central Plaza avec des princesses dont la popularité monte chez les jeunes générations : Sofia et Elena d’Avalor.
Ces quatre représentations quotidiennes plongeront le parc dans un état d’ébullition permanent qui ne permettra pas de répit. Il sera difficile de passer sur Main Street sans se laisser entraîner par ce spectacle qui monopolise autant le temps que l’espace sans avoir d’impact sur les rendez-vous habituels : Disney Stars on Parade aura toujours lieu. La linéarité du spectacle est rompue au profit d’un spectacle à la carte, qu’on suit, quitte et rattrape à sa guise.
Le mot festival ne semble pas choisi au hasard puisque les deux équipées se diviseront sur quatre scènes réparties autour de Central Plaza. Les visiteurs se retrouveront donc au centre de la place et pourront observer et participer aux quatre spectacles simultanés avec un horizon à 360°, comme dans un festival digne de ce nom.
Enfin, cet esprit de spontanéité intervient bien sûr pour célébrer le printemps qui est symbole de vie et de renaissance : vous retrouverez certaines des éblouissantes topiaires de la dernière saison printanière et découvrirez des robes de princesses spécialement conçues pour l’occasion, ornées de fleurs adaptées au caractère de chaque princesse. La couleur sera aussi à l’honneur à travers une gamme exclusive de produits dérivés
Le goût du risque !
Disneyland Paris risque de se confronter, avec ce festival, à quelques critiques, mais qui ne sont que la conséquence du parti pris risqué de la nouveauté et de la tension ludique de la confrontation. Sur le site Disney Gazette, on lit déjà plaidoyers et reproches au sujet de la division genrée inspirée par les pirates et les princesses. Disneyland Paris sauve les symboles en intégrant Minnie à l’équipe des pirates et Mickey à l’équipe des princesses, et en montrant que l’affiche un mélange de teintes bleues et roses qui ne caractérisent ni l’un ni l’autre camp. Le fait que le spectacle ait lieu quatre fois par jour et que les chorégraphies soient simples n’empêche pas de défendre les pirates le matin et de soutenir les princesses l’après-midi !
L’avantage de la spontanéité a aussi son revers : suivre le spectacle dans sa totalité sera compliqué, et il faudra opérer des choix. Il paraît en effet laborieux de regarder les arrêts sur la route de la parade et de rejoindre ensuite le Hub pour voir la suite des festivités. Mais c’est le parti pris de Disneyland Paris de casser le spectacle comme unité avec un début et une fin.
Le Festival Pirates & Princesses propose dans la forme plus que dans le fond un renouvellement de l’idée de spectacle qui se rapproche d’une fête spontanée. Les princesses et les pirates ont en effet déjà beaucoup été mis à l’honneur : l’intérêt se trouve donc dans le pari fou de l’interaction. Le public de Disneyland Paris est tellement hétéroclite dans ses attentes qu’on a hâte d’observer les premières réactions. Les différences sont habituellement inhibées par la configuration traditionnelle artistes/spectateur, mais le spectacle interactif propose de créer une cohésion autour de la musique et la danse qui auraient le don d’adoucir les mœurs et de rapprocher les peuples.
Les critiques pragmatiques fuseront, mais c’est toujours le résultat naturel de toute application dans la réalité d’une belle idée, et donc le problème récurrent d’un parc à thème. Ici, l’enjeu prend une ampleur d’un autre ordre, puisqu’il ne s’agit plus de défis techniques mais d’adhésion humaine. Les danseurs et acrobates seront heureusement là pour pallier l’éventuelle timidité du public. Le festival n’avance pas sans filet : le public aura d’autant plus envie de participer qu’il n’y est pas obligé.
En savoir plus sur le site officiel de Disneyland Paris