La fin d’année de Disneyland Paris est animée par deux saisons consécutives qui entraînent des saturations, si on en croit les crises de colère sur TripAdvisor, alors même que le temps capricieux devrait faire fuir les visiteurs. Je me livre ici à un marronnier inspiré par les publicités et vidéos commerciales de Disneyland Paris qui promeuvent Halloween et Noël en cet automne 2017. C’est sous l’angle de la joie que je vais traiter le matériel commercial en me demandant aussi quel sens de la fête apporte la possibilité d’étendre les fêtes de fin d’année d’octobre à janvier. En effet, Disneyland Paris propose un espace où le temps se dilate pour des raisons commerciales, certes, mais aussi parce que Disney entretient un lien étroit avec Noël, la fête, la famille, la peur et la joie.
Marier la peur et le rire à Halloween : la quadrature du cercle ?
Daily Disneyland vous a déjà présenté le programme de la saison d’Halloween et les déceptions qu’elle a générée du fait du poids du 25ème anniversaire qui a terni la qualité de la conception : http://www.dailydisneyland.com/avis-saison-dhalloween-2017/
Je vais me concentrer pour ma part sur une des affiches publicitaires qui ont promu cette saison née en 1997. L’affiche présente l’allée qui mène au château décorée aux couleurs d’Halloween. Nombreux sont les visiteurs qui se sont plaints de ne pas avoir trouvé dans le parc les mêmes décorations sur Main Street, les décors étant réservés à Frontierland : l’ambiance automnale permanente avec ces pins et ces tons ocres ou orangés y est particulièrement adaptée. Disneyland Paris est coutumier de ce « mensonge » : le château est devenu le symbole du seuil qu’on franchit dès les premières publicités avant même 1992.
L’affiche d’Halloween annonce une « Fête démente ». L’adjectif « dément » est étonnant. Peut-être a-t-il été choisi pour sa proximité sonore avec le mot « démon » qui rappellerait l’esprit diabolique d’Halloween. En latin, le « dément » est quelqu’un qui a littéralement perdu l’esprit. En psychiatrie, la démence se réfère à un affaiblissement des fonctions intellectuelles et, dans le langage courant, à de la bizarrerie. Par extension, « C’est dément » a pu vouloir dire « C’est génial », « C’est dingue », « C’est incroyable ». C’est dans cette dernière acception populaire et ironique qu’il faut lire ce qualificatif qui permet d’envisager une forme de plaisir dans la folie. Il est possible que « dément » traduise ici le faux ami « terrific » en anglais.
Ainsi, cette fête démente reprend le thème d’HalLOLween en 2016 à Disneyland Paris, en associant la peur et le rire (voir un précédent article sur la saison 2016 : https://johansdreamworlds.wordpress.com/2016/10/24/les-parcs-a-theme-et-halloween/). Avoir choisi Dingo pour une fête démente n’est pas non plus anodin : Dingo n’est pas le plus intellectuel des personnages Disney ! Le côté festif sur l’affiche est transmis par les serpentins et les cotillons, ainsi que par le déguisement de Dingo et les crânes moustachus qui humanisent la mort. Comment ne pas se souvenir de la danse macabre des Silly Symphonies des débuts de Walt Disney ? La danse macabre est un motif fréquent au Moyen-Âge et repris à l’époque romantique : elle rend supportable la mort et, dans le célèbre poème de Baudelaire, rappelle la présence de nos crânes sous nos peaux même dans les moments de fête où on célèbre la vie :
” Fiers mignons, malgré l’art des poudres et du rouge,
Vous sentez tous la mort ! Ô squelettes musqués »
L’expression « Squeletoons Party » pourrait être une tradition exacte de « Danse macabre », à la sauce Disney puisque ce jeu de mot associe la joie à la mort, le dessin animé léger au motif des squelettes. On a beaucoup parlé des décors « mexicanisants » de Frontierland à l’occasion de la sortie de Coco, dernier Pixar en date. Il n’y a qu’à regarder la bande-annonce de ce dessin animé pour comprendre le lien qui s’établit avec Halloween : le jeune garçon découvre qui il est et apprend à croire en ses rêves en côtoyant ses ancêtres décédés. La mort doit donc être vécue de manière positive car on ne meurt jamais pour rien : nos ancêtres nous rattachent au quotidien à des racines qui nous remplissent de confiance (lire ici la critique du film de Robin sur Daily Disneyland : http://www.dailydisneyland.com/coco-notre-critique/). Le site internet regorgeait donc d’oxymores associant le rire et la peur : « tourbillon de frissons et de rires », « moment joyeusement diabolique », « Préparez-vous à des rires et des frayeurs », « décorations déjantées et effrayantes ».
Rendre positifs les motifs habituellement associés à la mort ou au mal a été également la mission de la maquilleuse Vanessa Davis qui a proposé une gamme colorée et élaborée de « make-up designs » à l’occasion de la fête des morts. Disneyland Paris confirme sa tendance à la peoplisation et sa volonté de se rapprocher du modèle qualitatif du luxe.
Noël : encore l’”enfin déjà”
Cette valorisation des évènements Disney à l’aide de célébrités date de la soirée d’inauguration en avril 1992 qui était coprésentée par Jean-Pierre Foucault et David Halliday. Sur Youtube, la chaîne du parc présente une vidéo de promotion (https://www.youtube.com/watch?v=Knv4EyoTw-A) constituée de commentaires d’acteurs et d’actrices sur les festivités de Noël et l’esprit Disney en général. « Disney et Noël, que demander de mieux ? », dit l’une des intervenantes ou encore « On a l’impression d’être à Noël tous les jours » (Tarek Boudali). On se noie sous les « C’est magique ». Cette vidéo est purement dans le mode de l’émotion « esthétique » au sens du chercheur en communication Roger Odin : l’objectif est simplement de montrer un objet digne d’intérêt sans forcément le commenter, et de donner envie à autrui de sentir la même émotion en la partageant.
Comme en 2016 (https://johansdreamworlds.wordpress.com/2016/11/11/cest-deja-enfin-noel-a-disneyland-paris/), Disneyland Paris se positionne sans originalité sur le créneau de « c’est enfin déjà Noël ». A noter que, ce Noël, Kinder a piqué l’idée à Disney pour ses calendriers de l’avent de la fin d’année : « Maman, est-ce qu’on peut commencer à attendre Noël ? ». Arrêtons-nous sur la juxtaposition des deux adverbes « enfin » et « déjà ». « Enfin » exprime la fin d’une attente, alors que « déjà » annonce un point de commencement anticipé par rapport à une date prévue ou habituelle. Disneyland Paris suppose donc que les visiteurs ont attendu longtemps que le début prématuré de Noël soit lancé. On est plongé dans le mythe des téléfilms de seconde zone où Noël dure toute l’année au pays des Elfes. Si Kinder est dans l’accompagnement de l’attente du 25 décembre, Disneyland Paris, au contraire, ne parle pas d’attente : Noël commence vraiment dans les mots choisis le 11 novembre.
Aujourd’hui, et le phénomène n’a attendu ni Disney ni Coca parce que le sujet était déjà sur la table pendant la Révolution Française, Noël est un esprit parce qu’il n’est plus rien d’autre. La fête symbolise les retrouvailles, les réconciliations, l’espoir des vœux exaucés. Noël étant un esprit détaché de ses origines balayées par la fin des méta-récits (récits religieux et grands systèmes philosophiques) comme les appellent les philosophes du postmodernisme, il est possible de recréer cette fête n’importe où et n’importe quand. C’est le propre du postmodernisme tel que Georges Ritzer le définit à partir du concept de « dédifférenciation » : à notre époque, les frontières de toutes pratiques temporelles et spatiales disparaissent, les limites se brouillent. Par exemple, le shopping n’est plus une activité en soi à Disneyland : on achète en se promenant dans des décors qui suscitent la promenade et la contemplation, l’amusement. Loisirs, nourriture, transports, courses, achats et travail se mélangent. Me vient alors une citation de Victor Hugo sur le théâtre : il affirmait que le théâtre n’était pas le pays du réel, mais l’univers du vrai, il est alors possible de créer des émotions sincères avec des décors factices :
« Le théâtre n’est pas le pays du réel : il y a des arbres de carton, des palais de toile, un ciel de haillons, des diamants de verre, de l’or de clinquant, du fard sur la pêche, du rouge sur la joue, un soleil qui sort de dessous terre. C’est le pays du vrai, il y a des cœurs sur la scène, il y a des cœurs dans les coulisses, il y a des cœurs dans la salle. »
C’est en quelque sorte ce que montrent les affiches de la saison de Noël. La première montre Mickey dans son costume d’apprenti sorcier qui projette des feux d’artifice sur le château comme pour inaugurer les festivités. Si l’affiche d’Halloween avait les couleurs chaudes de l’automne, celle de Noël offre des couleurs hivernales et givrées : le bleu clair et le blanc. Les feux d’artifice rappellent le thème des étoiles qui est au fondement de la culture esthétique de Disney depuis Pinocchio (« when you wish upon a star »). La fête est alors d’emblée associée aux vœux remplis d’espoir qu’on formule en fin d’année. Noël est assimilé à deux éléments : la magie et la tradition, comme le montrent les expressions sur les pages du site internet : « magie de Noël », « esprit de fête », « féérie de Noël », « parure de fête », « incroyable conte », « classiques de Noël », sapin qui exauce les vœux, « magie de cette saison enchantée », « cannes de sucre d’orge dansantes, les hommes pains d’épices et autres gourmandises de Noël, dans une délicieuse atmosphère d’hiver. »
Dans la deuxième affiche, Dingo contemple le traîneau du Père Noël qui semble sortir du décor de l’Hollywood Tower Hotel. Les deux symboles totémiques de Disneyland Paris deviennent les scènes de théâtre d’un rassemblement collectif et festif. Les images de synthèse des publicités s’accordent au monde de synthèse qu’on s’apprête à visiter : à travers ce traîneau qui traverse l’écran, la fiction rejoint pourtant la réalité. Avec ces deux personnages emblématiques, nés en 1927 et 1932, Disney se raccroche à son patrimoine le plus ancien et à ses valeurs que l’entreprise a souvent associées à Noël avec la tradition du long métrage animé de fin d’année qu’on court aller voir en famille. Avec le jeu de mots « Show Devant », on reprend l’idée de « c’est déjà Noël », en exprimant l’urgence (« chaud devant »), l’idée de spectacle époustouflant (« chaud devant » veut aussi dire dans le langage courant que « ça va chauffer ») et celle du cadeau servi sur un plateau (l’expression « chaud devant » intervient à l’origine surtout dans les restaurants).
De la fête au spectacle
A Halloween et Noël, le vocabulaire Disney n’a que le mot « fête » à la bouche. Mais qu’est-ce qu’une fête ? Pour le sociologue Alan Bryman, une visite à Dinseyland n’a rien d’un pèlerinage car il y règne un grand conservatisme, comme le voulait Walt Disney. La fête, dans les débats philosophiques, a toujours été tiraillée entre le joyeux chaos qui peut mener à une énergie violente (certains ont parlé de la grande fête du 14 juillet 1789) et la minutieuse organisation, celle du défilé du 14 juillet tiré au cordeau comme on le vit aujourd’hui. Si on prend comme référence le concept de fête populaire de Mikhail Bakhtine Il n’existe non plus aucune pause dans les règles ou dans les normes lors d’Halloween et de Noël à Disneyland, si ce n’est un changement des habitudes internes avec l’arrivée de nouveaux spectacles et de nouveaux décors. La fête réside donc dans le réservoir clos des références internes que Disneyland construit autour de sa communauté de fans et de passionnés.
Il n’existe donc à Disneyland aucune catharsis dans l’esprit festif tant ressassé sur le site internet : cela explique la frustration éprouvée par de nombreux visiteurs sur TripAdvisor. Les quelques déçus affirment qu’ils se sentent victimes du marketing des images. Pourtant, la promesse est claire dans les publicités : ce ne sont pas les visiteurs qui font la fête, ce sont les personnages Disney et leurs danseurs à qui on a laissé une piste de danse libre. Dans un article précédent sur Dailydisneyland (http://www.dailydisneyland.com/roles-fonctions-fetes-classiques-disney/), je décris les fêtes dans les dessins animés Disney comme des spectacles où les héros étalent leur bonheur triomphant devant les yeux ébahis des spectateurs. Les visiteurs des parcs se retrouvent dans le rôle de ces figurants qui contemplent la danse ou le mariage des héros à la fin des classiques Disney. Ce n’est ni bien, ni mal. Les historiens font remonter cette conception de la fête-spectacle, qu’on regarde et qu’on ne fait pas, à l’époque bourgeoise du XIXè siècle, comme l’explique Mona Ozouf dans l’introduction de son livre La Fête révolutionnaire. Ce qui est certain et ce qui est souvent décrit par les visiteurs sur les réseaux sociaux, c’est que Disneyland Paris se noie cette année dans les fêtes : le 25ème anniversaire a pu nuire à la cohérence des thématisations en s’ajoutant aux saisons traditionnelles.